2 septembre 2009

L'aloi des séries, épisode 4

Baltimore, à quelques encâblures de la capitale fédérale Washington, sur la côte du Maryland, affiche des statistiques de criminalité tous azimuts parmi les plus affolantes des Etats-Unis. Homicides, trafics de drogue divers, corruption galopante y sont partie intégrante du quotidien des habitants, à commencer par ceux les plus démunis des quartiers déshérités du centre-ville. C'est ce riant tableau qui a donné naissance à deux séries d'HBO (enfin bon, la deuxième est plus exactement une mini-série de six épisodes là où la première compte cinq saisons) d'une grande force dramatique et d'une humanité balzacienne.

Accessoirement, les deux séries donnent un point de vue assez peu conventionnel et dérangeant sur la façon dont la drogue ravage le pays en lui coûtant trois fois, une fois par la destruction de vies individuelles perdues pour la collectivité, une deuxième fois par le flux d'argent qui corrompt des institutions trop faibles pour lui résister, une troisième fois par l'incroyable gâchis des moyens et des compétences mis en œuvre pour balayer perpétuellement une poussière qui ne cesse de retomber aussitôt. On nous montre comment ce mensonge énorme ronge de l'intérieur l'ensemble de la société qui alimente ainsi elle-même le propre monstre qui la dévore. Je soupçonne David Simon, le scénariste et créateur des deux séries, d'avoir voulu par là démontrer la totale absurdité de la prétendue guerre contre la drogue, c'est à dire de présenter en creux des arguments, assez convaincants, en faveur d'une dépénalisation totale de tout stupéfiant.

The Wire.
Créée par l'ancien journaliste du Baltimore Sun David Simon, cette série policière en cinq saisons est l'une des plus ambitieuses qui aient précédé les Sopranos. The Wire (le câble) c'est le terme pour désigner les procédures d'écoutes policières (d'où la traduction française Sur écoute). Enfin une série policière avec un peu de plomb dans la cervelle, qui ne se résume pas à quelques courses-poursuites pan pan boum boum et deux ou trois affaires de cœur. De façon très réaliste, on plonge donc au côté d'une cellule spécialisée de policiers anti-drogue au plus près des trafics et des gros bonnets de la drogue, de l'inertie administrative, de l'ambition et de la corruption politique qui vont de pair, de l'indigence du système éducatif gangrené par son environnement criminel, des médias à bout de souffle prêts à tout pour vendre du papier, et même des syndicats en déroute prêts à se raccrocher à n'importe quelle branche pourrie pour conjurer la décadence industrielle. Au total, le portrait d'une ville, poussant loin les ramifications scénaristiques et la logique des personnages, comme seule une série peut le faire, où les protagonistes les plus sympathiques ne sont pas toujours dans le camp qu'on imagine, sans pour autant céder à la moindre fascination pour le trafic de drogue, la violence, ou un quelconque romantisme mafieux. Avec une certaine crudité, les scénaristes ont même choisi de faire disparaître assez tôt des personnages qu'on imaginait importants simplement parce qu'en effet, l'espérance de vie dans le commerce de drogue est assez limitée. Des policiers de Baltimore ont prêté leur concours à l'écriture de la série, tourné en grande partie sur les lieux mêmes de l'action. On s'éloigne seulement de cette tonalité réaliste quand l'un des dealers se rend aux Antilles françaises pour blanchir son argent, là c'est assez n'importe quoi, limite si le guichetier le la banque n'a pas un T-shirt à l'effigie de Jacques Chirac... ils n'avaient visiblement pas Elie Domota comme consultant. Mais n'ergotons pas, la série a assez justement été couverte de prix et récompenses, malgré des audiences très moyennes, dues en partie au fait que l'essentiel de la distribution est... noire, comme 65% (au doigt mouillé) de la population de Baltimore. C'est trop bête.

The Corner.
Plus que du coin de rue à proprement parler, même si la référence géographique reste valable, le titre évoque le point de vente des drogues plus ou moins dures où se côtoient dealers gros et petits, junkies à la dérive, et honnêtes travailleurs cousins des uns ou des autres luttant pour ne finir dans aucun des sous-ensembles précédents, et trimant pour des picaillons, que des junkies ont tôt fait de leur dérober, quand les trafiquants se goinfrent sans trop d'effort. La série s'attache à une famille pour le moins dysfonctionnelle : les parents drogués, et le gamin dealer. Tout en n'éludant aucune des horreurs liées tant à la consommation qu'au trafic de drogue, les scénaristes ont choisi de mettre en valeur les qualités humaines de personnages pourtant à la dérive, broyés par une machine infernale autrement plus forte qu'eux. Révélation à la fin de la série : les personnages et les situations (tous assez largement invraisemblables pourrait-on croire) sont directement inspirés de faits réels, et le réalisateur conclut la série en interviewant les vraies gens qui ont servi de base aux personnages, au vrai coin de la vraie rue qui a servi au tournage. Cette mini-série, adaptée d'un livre-enquête de David Simon, est un peu l'ancêtre de The Wire, qui suivit quelques années après, et bon nombre de comédiens se retrouvent dans les deux.


Previously dans L'aloi des séries.
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4 commentaires:

l'inegalable vivie a dit…

je n'ai vu aucune des séries tv que tu proposes...
par contre " Brüno " si !
Et j'attends ton article éventuel avec une certaine impatience;

Tu devrais , en tout état de cause générer un sacré débat...

david t a dit…

c'est sans rapport avec cet article mais, si je me permets, sieur hobopok, il semble qu'une fois que je désactive votre compteur de visites, sont éliminées également les popups publicitaires de ce site, devenues bien encombrantes ces derniers temps. de là à y voir un lien de cause à effet, il n'y a qu'un pas que franchira gaiement toute personne de bonne foi, ceci dit en passant et pour votre information.

Hobopok a dit…

Et comment donc sieur David T trouvez-vous le moyen de désactiver mon teuteu casse-burettes ?

david t a dit…

je les ai désactivées avec adblock, bien sûr. (c'est un module que l'on peut ajouter à son firefox et qui sert à filtrer les adresses web, dans le but d'éliminer les pubs, entre autres.)

je pense que beaucoup de services de compteurs web «gratuits» présentent ce problème: une fois installés sur des sites honnêtes, ils font passer toutes sortes de merdes qu'on n'a jamais demandé, comme des popups. je ne connais pas de solution autre que d'enlever le compteur (ou alors d'installer un compteur à soi, directement sur le serveur, mais là il faut s'y connaître un peu en PHP, CGI et autres crudités).