27 mai 2011

L'Afrique dessinée

A l'occasion de la sortie du livre d'Anselme Putain d'Afrique, votre cyber gazette préférée a voulu se pencher plus avant sur la question de la bande dessinée africaine, en interviewant Christophe Cassiau-Haurie, directeur de la collection de BD africaine chez L'Harmattan, par ailleurs auteur d'une étude sur la BD indocéanienne, Iles en bulles, parue chez Centre du Monde à la Réunion, et co-organisateur du premier Salon des auteurs africains de BD qui a eu lieu en décembre à Paris.


Comment est née l'idée d'une collection BD chez L'Harmattan, une nouveauté chez cet éditeur ?
Il me semblait que les auteurs de BD d'Afrique n'avaient pas d'espace suffisant éditorialement parlant, pour s'exprimer et montrer leur savoir-faire. Cela est vrai en Europe aussi bien qu'en Afrique. J'ai donc proposé cette collection à L'Harmattan dans le but de combler ce manque. Recourir à cet éditeur me permettait en particulier une double présence : en Europe où il est installé mais aussi en Afrique où il est très implanté. Et puis, je savais que je rencontrerais une belle réactivité de leur part, mais aussi qu'ils me laisseraient travailler en totale autonomie.

Comment se passent les contacts avec les auteurs éloignés et parfois difficiles à joindre ?

Disons qu'avec mes différentes activités (journalisme, voyage, organisation de salon, interventions diverses et variées, scénarios, etc..), j'ai pas mal de contacts et de connaissances. Alors, évidemment, ça aide. Et puis les artistes ont confiance, ils savent que j'essaie de les aider. Enfin, Internet a tout de même permis de briser des barrières, incontestablement.

E
st-ce qu'il est possible de définir une spécificité de la BD africaine ?
Non, dans ce cas là, l'Afrique est fille aînée de l'Europe. Il existe un certain mimétisme, tout de même ! Y compris dans la forme narrative. Il n'y a que quelques cas, comme chez Anselme justement, où l'on sent quelque chose de nouveau. Mais ces influences européennes sont néanmoins incontestables. La BD africaine n'existe pas encore, on peut plutôt parler de BD d'Afrique.

Alors dans quel état se trouve actuellement cette BD d'Afrique ?

C'est à l'image de l'ensemble de l'ensemble de l'édition africaine. Hormis l'édition scolaire, les ventes sont faibles et ne dépassent pas les mille exemplaires. Le journal reste encore un support important pour la BD. Pour celle-ci c'est sans doute encore pire du fait de la mauvaise image qu'elle dégage dans les générations précédentes. L'omniprésence de la lecture dite "utilitaire" est également un frein à la diffusion de la BD. A ceci se rajoutent des difficultés économiques pour bien des foyers et la quasi-absence de soutien public à l'édition. Alors, non, elle ne se porte pas très bien et l'édition d'albums est assez faible ! Une dizaine par an pour l'ensemble des pays d'Afrique francophone, dont une moitié au moins reçoit un soutien de la coopération française.

Imagines-tu pouvoir déborder du domaine francophone pour proposer des auteurs du reste de l'Afrique ?

Difficile... Je n'ai pas la structure suffisante derrière pour envisager ce type d'opérations. Dommage !

D'où vient ton intérêt personnel pour la BD africaine ?

J'ai été élevé en Afrique, à Douala, au Cameroun. Là bas, je suivais chaque semaine dans les journaux Les aventures de Sam Monfang, le détective. Et puis, par la suite, l'ai reçu Les aventures de Kouakou. A l'époque, je pensai que c'était africain, alors que c'était fait en France par des auteurs français. Enfin, bref, tout cela m'a influencé. Entre temps, j'ai vécu en France, où la BD était l'un de mes centres d'intérêts. Retourné en Afrique, à Kinshasa puis à Maurice, mais aussi au Mali, au Kenya, je me suis rendu compte que personne ne s'y intéressait vraiment. Et comme, j'avais envie d'écrire, et d'écrire sur l'Afrique, j'ai commencé à investir ce champ, un peu par hasard, puisque mes premiers écrits d'il y a dix ans ne concernaient pas du tout la BD.

Pour finir, un mot sur Putain d'Afrique et Anselme ?

J'ai découvert Anselme en achetant Retour d'Afrique en 2005 à la Réunion. J'ai tout de suite été stupéfait par son style graphique et son ton caustique. Difficile à définir : quelque chose entre du dessin de presse et de la BD. A la fois très déjanté et maîtrisé. Lorsque je l'ai rencontré il y a quatre ans à Tananarive, je lui avais demandé s'il avait des inédits, il m'a envoyé quelques mois après, le manuscrit de Putain d'Afrique que j'ai mis sous le coude durant un an et demi, le temps pour moi de lancer la collection. Pour moi, c'est une bombe, une vraie : un discours déjà entendu certes mais pas avec cette force et ce désespoir. Il a un sens de la narration assez étonnant, tout en fausses pistes et en même temps très percutant. L'album sort après sa mort, quel dommage ! Mais au moins cela rendra un peu hommage à son talent.
L'école malgache est très particulière, ce sont les seuls à avoir créé un style bien à eux dans les années 80, très influencé par les fumetti italiens (Blek le Roc, Zembla, etc..) et le cinéma d'horreur américain, toujours en langue malgache. Tout en étant à part, Anselme est l'héritier de ce mouvement, quelque part. C'était l'un des derniers dinosaures encore actifs.

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