9 septembre 2011

Les deux tours

World Trade Center. Ground Zero. Dix ans. Mauvais anniversaire. Tout comme la Deuxième Guerre mondiale aura marqué le monde de son empreinte pour soixante ans, les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington ont commencé à remodeler le monde pour une longue période à venir. Un monde chaque jour plus orwellien, où la guerre (contre le terrorisme) est permanente et sans fin, où les alliances changent sans préavis ni explication (Ben Laden, Kadhafi), justifiant la réécriture permanente de l'histoire, et l'ubiquité d'une police de la pensée qui voudrait s'insinuer au plus profond des âmes.

L'une des dernières victimes en date d'une assez curieuse et insidieuse censure est Steve Reich, compositeur américain, sous-pape de la musique dite répétitive (comme si le rap l'était moins...) ou encore minimaliste. A 75 ans, il s'apprêtait a faire paraître un nouvel album intitulé WTC 9/11, mêlant quatuor à cordes et remixage de documents d'archives sonores liés aux attentats. Il s'agit de la première édition phonographique d'une œuvre créée et déjà interprétée en public en 2010. Jusque là, tout allait bien.

L'album de Steve Reich.

Les choses se sont gâtées quand l'éditeur a commencé à faire circuler la pochette prévue pour le disque : une réinterprétation retravaillée d'une photo d'actualité montrant le deuxième avion sur le point d'emboutir la deuxième tour, une façon assez pertinente d'illustrer le contenu musical qui donne une vision artistique d'événements dramatiques, le visuel détournant l'image comme l'œuvre musicale détourne le son.

La photo originale de Masatomo Kuriya.

L'image retouchée a provoqué une controverse à travers la presse et le web américains, qui y ont vu une insupportable esthétisation du drame. Au point que l'éditeur a préféré renoncer, retardant la sortie du disque, tout en annonçant le remplacement de l'image. La vox populi s'érige en censeur là où l'auteur de la photo lui-même, selon toute vraisemblance contacté et rémunéré pour accorder le droit de réutiliser son cliché, n'avait rien trouvé à redire. On en déduit que la même démarche artistique qui n'avait défrisé personne quand elle s'adressait à nos oreilles, devient intolérable quand elle atteint nos yeux. C'est que Steve Reich, sa maison de disques, son graphiste, ont attaqué ce qui est devenu une icône au sens religieux du terme, sacrée et intouchable.

Il faut se souvenir comment l'humanité entière, délaissant toute activité normale, s'était plantée comme un seul homme devant son téléviseur pour contempler en direct ce spectacle inouï (étymomologiquement : jamais entendu) des tours attaquées, rendant hommage au coup de génie maléfique des auteurs des attentats à qui la dimension graphique de leur œuvre n'avait bien évidemment pas plus échappé que l'écho qu'elle rencontrerait dans une caisse de résonance comme New York. Cette même image et d'autres plus insoutenables encore, ont tourné en boucle des jours et des jours sur les écrans du monde entier sans que personne alors ne songe à leur reprocher leur obscénité. On succombait au même pouvoir d'attraction que celui qu'exercent les accidents de la route, qui forcent les automobilistes circulant en sens inverse à ralentir en espérant entrapercevoir quelque détail sanguinolent au passage.

Peut-être est-ce précisément pour exorciser cette fascination morbide génératrice de culpabilité inavouable que les censeurs se mettent en action, dix ans après.

Pour mémoire (laquelle tend à s'estomper après dix ans), je vous rappelle ce dessin d'un mauvais goût lui aussi parfaitement condamnable, et qui avait fait la une du Margouillat, organe central de la rébellion réunionnaise, en octobre 2001.

2 commentaires:

Li-An a dit…

Et encore, toi tu n'as passé le douane à Los Angeles :-)

Hobopok a dit…

Tout le monde ne peut pas passer ses vacances à Tahiti.